Héritière d’une histoire familiale franco-allemande, la marque Vélo de Ville se raconte dans une interview exclusive avec son directeur Alain Thiemann. En quatre décennies, elle s’est imposée comme une référence du vélo électrique sur-mesure en Europe. Depuis Altenberge, en Allemagne, l’entreprise mise tout sur la personnalisation et la proximité avec ses revendeurs pour se démarquer.
Créée il y a près de 40 ans, Vélo de Ville est née d’un constat simple : aucun vélo ne s’adaptait vraiment aux besoins individuels des clients. Son fondateur, Albert Thiemann, a donc décidé de concevoir des vélos « custom made », configurables à la carte, bien avant que le concept ne devienne un argument commercial.
Aujourd’hui, l’entreprise emploie environ 350 personnes, fabrique et peint ses vélos en Allemagne, produit une partie de ses cadres en Europe, et revendique près d’un milliard de configurations possibles. « Nous sommes une société allemande avec la qualité allemande, mais nous avons aussi des valeurs françaises, cette passion pour le produit héritée notamment de ma mère qui est française. C’est ce mélange qui nous définit », résume Alain Thiemann.
À lire aussiEXCLUSIF – “On veut montrer qu’on a changé” : VanMoof se raconte sans filtreÀ 33 ans, Alain Thiemann a repris avec son frère et un associé les rênes de l’entreprise familiale fondée par leur père. Après un passage dans la finance et le capital-investissement chez Ernst & Young, il a choisi de revenir à la passion du vélo et à l’entreprise où il avait travaillé depuis l’enfance. « Nous avons tous commencé à diriger la société à 28 ans », sourit-il. « C’est une responsabilité, mais aussi une chance de perpétuer une histoire familiale où la passion du vélo a toujours primé. »
Cette proximité, il la cultive aussi avec ses équipes : « Même à 350 personnes, je tiens à connaître tout le monde par son prénom. C’est important pour garder l’esprit familial, même en grandissant. »
À lire aussiExclusif : William Perrier (Accell) dévoile sa stratégie produits, avec Lapierre et Winora en têtes d’afficheLa production de Vélo de Ville reste intégralement européenne, avec un site principal à Altenberge (Allemagne) qui concentre l’assemblage, la peinture, la fabrication de roues et la logistique. Depuis octobre dernier, 60 % des cadres sont produits directement en Allemagne ou dans les pays voisins.
Ce choix, plus coûteux que l’Asie, est avant tout stratégique. « Nous devons rester ultra-flexibles. Nos partenaires peuvent modifier leurs précommandes jusqu’à 20 jours avant livraison, ce qui est unique dans l’industrie. Pour tenir ce délai, nous devons tout avoir sous la main, à proximité, avec un contrôle complet sur la chaîne », détaille Thiemann.
Cette flexibilité impose une organisation complexe : un stock de composants massif, une planification fine basée sur les données du configurateur et une expertise humaine rare. « La moyenne d’ancienneté chez nous est de 12 ans, avec des techniciens présents depuis 20 à 30 ans. Leur savoir-faire permet de gérer une complexité logistique que beaucoup d’autres marques ont abandonnée. »
La production locale sert aussi un objectif de qualité : « En Europe, on ne produit pas forcément moins cher, mais on produit plus juste. On limite les risques de sur-stock ou de transports inutiles. C’est un modèle exigeant, mais il garantit un vélo réellement pensé pour son futur propriétaire. »
Si Vélo de Ville se distingue, c’est par sa capacité à proposer un vélo unique à chaque client. Taille de cadre, motorisation, batterie, cintre, selle… les éléments clés sont configurables à la demande, avec une flexibilité que peu de marques peuvent offrir.
« En théorie, nous offrons un milliard de configurations possibles. Cela demande une logistique très complexe, mais c’est notre expertise depuis plus de 30 ans », explique Alain Thiemann.
Côté produits, le best-seller reste un vélo « allround » pour un usage quotidien, comme l’AEB 890 équipé d’un moteur Bosch Performance. Mais la marque se diversifie avec des modèles adaptés aux nouvelles mobilités : le Loady (longtail cargo) qui séduit les familles en ville, le Foldy (pliant) et le Revo-C, premier modèle Vélo de Ville propulsé par un moteur DJI.
Cette montée en puissance technique interroge. La course aux Newton-mètres ne risque-t-elle pas de dénaturer le vélo électrique ? « Il faut rester prudent », répond Alain Thiemann. Une position qui fait écho à celle de Claus Fleisher, patron de Bosch eBike Systems, qui nous confiait récemment dans une interview que certains fabricants de moteurs « jouent avec le feu » en poussant la puissance trop loin, au risque de compromettre l’équilibre et la sécurité des vélos.
Alain Thiemann nuance cependant : « Nous voulons faire place à l’innovation, mais sans franchir les limites qui remettraient en cause le statut même du VAE. Le système DJI nous intéressait non pas seulement pour la puissance, mais pour tout l’écosystème : chargeur ultra-rapide, GPS, alarme… C’est une vraie avancée. »
Après un boom historique, le marché du vélo a connu un brutal retournement post-Covid, marqué par des stocks massifs et un ralentissement des ventes. Même Vélo de Ville a dû, pour la première fois, stocker des vélos finis, une situation inhabituelle pour une marque tournée vers le sur-mesure. « Nous avons trouvé des solutions avec nos revendeurs pour partager les risques, mais cela nous a appris beaucoup sur la résilience de notre modèle », explique Thiemann.
Pour 2025, le marché devrait rester stable, mais le dirigeant s’attend à un vrai rebond en 2026, tiré par une meilleure adéquation entre production et demande, et par une évolution des méthodes de vente. « Le temps des achats massifs sur stock est révolu. La personnalisation, la commande à la demande, vont s’imposer. Et nous sommes prêts pour ce virage. »
À lire aussiEntretien exclusif avec William Perrier (Accell) : Lapierre en fer de lance d’un plan de reconquêteInterrogé sur la montée en gamme progressive des marques asiatiques, Thiemann ne se voile pas la face : « La production asiatique est excellente, souvent meilleure qu’en Europe sur les cadres haut de gamme. C’est l’industrie européenne qui a délocalisé dans les années 90. Aujourd’hui, nous devons regagner ce savoir-faire, ou nous perdrons plus qu’une part de marché : nous perdrons notre capacité à créer de la valeur ici. »
Selon lui, l’Europe doit « se remettre en mode compétitif », sans arrogance : « Si on se contente de dire que notre qualité est supérieure, on est déjà en retard. Notre réponse, c’est l’innovation, la flexibilité, la proximité avec nos clients. »
Si tous les vélos ne seront pas connectés demain, la tendance est là. Vélo de Ville veut laisser le choix au consommateur, mais croit à une prochaine étape décisive : la communication V2X (Vehicle-to-Everything). « Imagine un vélo capable de dialoguer avec une voiture autonome ou un bus connecté. Le système pourrait alerter le conducteur de ta présence, synchroniser un passage piéton, déclencher un freinage d’urgence. C’est un immense pas en avant pour la sécurité, notamment en ville », explique Thiemann.
La marque travaille déjà dans un consortium avec Bosch et d’autres acteurs de l’automobile pour préparer ces usages. « On parle d’une dizaine d’années pour une adoption large, mais les bases sont posées : capteurs, transmission de données, protocoles communs. Le vélo électrique sera partie intégrante de l’écosystème routier intelligent. Et cela peut sauver des vies. »
En projection à cinq ans, Alain Thiemann n’imagine pas un vélo universel, mais une personnalisation accrue : « Le vélo parfait ressemble à celui qui le roule. Chacun est imparfait, et le vélo doit s’adapter à cette imperfection. C’est notre mission : passer d’un vélo stocké à un vélo pensé pour une personne, avec plus de transparence sur la façon dont il est fabriqué. »
Alain Thiemann conclut : « Ce que nous faisons aujourd’hui n’est qu’un début. Le marché traverse une période difficile, mais cela ouvre des opportunités pour repenser la manière de vendre et de concevoir les vélos. Et nous voulons être à l’avant-garde de ce mouvement. »
À lire aussiPourquoi Eovolt devient UTO ? Dans les coulisses d’un changement stratégiqueLa suite de votre contenu après cette annonce
Annonce partenaire
Annonce partenaire
Annonce partenaire
Bafang redéfinit son SAV en Europe avec ce nouveau QG
Marché22 juillet 2025
Annonce partenaire
Annonce partenaire