
L’Union européenne prolonge pour cinq ans les droits anti-dumping sur les vélos chinois. Une décision saluée par les industriels, mais qui relance le débat sur la compétitivité et la relocalisation de la production en Europe.
Adopté le 22 octobre 2025, le règlement (UE) 2025/2146 de la Commission européenne prolonge jusqu’en 2030 les droits anti-dumping sur les vélos en provenance de Chine. Ces mesures, en vigueur depuis 1993, visent à contrer des pratiques de prix jugées déloyales. Le texte étend également le dispositif à sept pays tiers — dont l’Indonésie, le Cambodge et la Tunisie — afin d’éviter tout contournement. Trois fabricants chinois (Zhejiang Baoguilai, Oyama Technology et Ideal Bike) bénéficient d’un taux nul ou réduit, tandis que les autres importateurs restent soumis à un droit de 48,5 %.
Malgré la procédure d’enquête ouverte à Pékin, la Commission n’a reçu aucune coopération de la part des autorités chinoises, ce qui a renforcé sa conviction qu’un dumping persistant menace la filière européenne. La mesure intervient alors que la consommation de vélos dans l’Union est passée de plus de 15 millions d’unités en 2021 à 8,7 millions en 2024 (− 42 %), selon les données officielles. En parallèle, la production européenne a chuté de 38 %, et le taux d’utilisation des capacités n’atteint plus que 56 %.
Pour l’Association européenne des fabricants de bicyclettes (EBMA), à l’origine de la demande de révision, cette prolongation est une victoire. Elle confirme, selon son secrétaire général Marcel Reekers, la volonté de l’Europe de « protéger une industrie stratégique, innovante et durable face aux pratiques déloyales des producteurs chinois ». L’organisation estimait que la levée des mesures aurait entraîné une reprise immédiate des importations à bas prix, compromettant des milliers d’emplois dans la filière.
Cette lecture est partagée par Decathlon, premier distributeur européen de cycles et ardent défenseur d’une production localisée. Dans un entretien accordé à Bike Europe, Herman van Beveren, responsable du développement produit, rappelait : « Nous produisons plus de 90 % de nos vélos en Europe, et nous voulons maintenir cette base industrielle. Les mesures anti-dumping sont essentielles pour y parvenir. » Il mettait également en garde contre la décision du Royaume-Uni de lever ses taxes à l’importation sur les vélos chinois, un choix qui selon lui « pourrait inspirer d’autres pays européens à suivre la même voie ». Une prudence d’autant plus légitime que le Trade Remedies Authority britannique vient tout juste de recommander la prolongation de ses propres droits jusqu’en 2029, alignant sa politique sur celle de Bruxelles.
Derrière ces positions, l’enjeu dépasse la seule défense tarifaire. Le rapport de la Commission souligne que les exportateurs chinois pratiquent toujours des prix moyens inférieurs de 50 % à ceux de l’industrie européenne, même après application des droits. En 2024, la Chine ne détenait plus qu’environ 6,5 % du marché européen, mais suffisait à exercer une pression continue sur les prix et les marges : celles-ci ne dépassent plus 2 % à 4 % selon les données agrégées du secteur. Cette situation nourrit aussi la vigilance accrue des douanes, après plusieurs affaires de contournement, comme celle révélant des vélos électriques chinois démontés pour échapper aux taxes.
Porté par le discours politique du « produire en Europe », le secteur a multiplié les investissements industriels depuis la pandémie. De nouvelles usines ont vu le jour au Portugal, en Roumanie, en Italie ou en Pologne. Mais la contraction de la demande post-Covid et la montée du vélo à assistance électrique ont bouleversé l’équation : de 11,3 millions de vélos produits en 2021, le volume est tombé à 7 millions, entraînant une baisse de 36 % de la productivité par salarié.
Pour Annick Roetynck, directrice de l’association LEVA-EU, cette décision « fige le secteur dans un système pensé pour le vélo traditionnel ». De nombreux assembleurs exclusivement tournés vers le vélo électrique ne bénéficient pas des exemptions historiques prévues pour les fabricants de vélos classiques : ils doivent avancer les droits, fournir des garanties financières et gérer des procédures douanières lourdes. Une contrainte qui, selon elle, freine l’innovation et favorise les acteurs historiques déjà intégrés au mécanisme d’exemption.
Le paradoxe est là : la part d’assemblage local augmente, mais la dépendance vis-à-vis de l’Asie reste massive pour les composants, cadres et transmissions. Malgré une volonté de souveraineté industrielle, la filière européenne reste vulnérable. Certaines marques comme Cowboy ont choisi de relocaliser leur assemblage en France, illustrant cette tendance à la réindustrialisation régionale. Le texte publié au Journal officiel de l’Union européenne met d’ailleurs en garde contre la persistance de déséquilibres structurels : une capacité excédentaire, des stocks gonflés et des marges sous pression. Autant de signaux qui interrogent sur la durabilité d’un modèle que Bruxelles, pour l’instant, choisit de maintenir sous perfusion tarifaire.
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