
Sous la pression du blocage américain visant Giant, la Taiwan Bicycle Association lance un plan d’audit social inédit. Objectif : garantir la transparence et la conformité du “made in Taiwan” face aux nouvelles exigences internationales.
Depuis le blocage des importations de Giant aux États-Unis pour soupçons de travail forcé, la filière taïwanaise du vélo est engagée dans une transformation accélérée. L’affaire, d’abord perçue comme un choc isolé, a finalement mis en lumière des failles structurelles dans la gestion sociale des sous-traitants, notamment envers les travailleurs migrants. Face à la pression américaine et aux exigences croissantes des marchés européens, la Taiwan Bicycle Association (TBA – l’organisation professionnelle représentative de l’industrie du vélo taïwanaise, comparable à l’Union Sport & Cycle en France) a décidé de prendre les devants.
Réunie le 17 octobre pour une session extraordinaire, l’organisation qui regroupe 368 entreprises du secteur a adopté une série de résolutions pour instaurer plus de diligence, de conformité et de transparence dans la chaîne d’approvisionnement. Ce plan, présenté officiellement le 28 octobre, ambitionne d’unifier le secteur autour d’un socle commun de bonnes pratiques sociales.
Au cœur du dispositif figure un programme pilote de “supply chain due diligence” qui concernera, dans un premier temps, une cinquantaine d’entreprises couvrant l’amont, le milieu et l’aval de la filière. L’objectif : bâtir un modèle d’audit global, capable d’assurer la traçabilité des conditions de travail à chaque maillon de la production. Pour y parvenir, la TBA prévoit d’associer des cabinets indépendants et des organismes d’audit reconnus comme WRAP ou Sedex.
Les entreprises participantes bénéficieront d’un accompagnement technique et financier, financé par un budget spécial alimenté par les membres de l’association. Une session d’information prévue en novembre permettra d’en préciser les modalités, tandis que les premières certifications devraient être lancées entre la fin 2025 et le premier trimestre 2026. Selon le président de la TBA, Robert Wu, “le respect des lois taïwanaises constitue notre socle minimal ; pour assurer un commerce durable, nous devons nous aligner sur les standards mondiaux”.
Le plan de la TBA trouve son origine directe dans la crise qui a frappé Giant à l’automne. Fin septembre, l’agence américaine Customs and Border Protection (CBP) a émis une Withhold Release Order bloquant toutes les importations du groupe pour “fortes présomptions de recours au travail forcé”. Une décision inédite, qui a paralysé les livraisons vers le marché américain et poussé le numéro un mondial du vélo à revoir en urgence sa politique sociale.
Le 29 octobre, Giant a dépêché une délégation à Washington pour rencontrer le CBP. Selon Bike Europe, l’entretien s’est tenu dans un climat “positif et constructif” : les autorités américaines auraient salué les efforts déployés par le groupe pour renforcer la gouvernance du travail et des droits humains. Le CBP a insisté sur le fait que le cas Giant “n’était pas une sanction, mais une opportunité de collaboration pour améliorer les standards de conformité”. Une reconnaissance implicite qui pourrait ouvrir la voie à la levée progressive du blocage.
La dynamique enclenchée par Giant dépasse désormais le cadre d’une simple réponse à la crise. L’entreprise a officiellement étendu sa politique “Zero Recruitment Fee” à l’ensemble de ses travailleurs migrants et engagé un programme de remboursement des frais de recrutement injustement perçus. Elle a également inauguré de nouveaux dortoirs à Yuanli et Waipu, offrant des conditions de vie alignées sur les standards internationaux.
Dans le sillage de cette refonte, Merida a adopté à son tour une politique “zéro frais” assortie d’un remboursement rétroactif des montants versés par les travailleurs étrangers. Cette approche proactive, qui va au-delà de la simple conformité légale, envoie un signal clair : la responsabilité sociale devient un levier stratégique pour sécuriser l’accès aux marchés internationaux et fidéliser les partenaires OEM.
Le “made in Taiwan”, longtemps célébré pour sa qualité industrielle, doit désormais démontrer son exemplarité humaine. La Commission nationale des droits humains a récemment rappelé l’importance de renforcer la vigilance sur les conditions de travail et d’intégrer la “due diligence” sociale dans les indicateurs de performance. Une évolution qui pourrait transformer une contrainte en véritable avantage compétitif pour l’ensemble du secteur.
En s’appuyant sur des partenaires internationaux comme WRAP et Sedex, la TBA veut doter chaque entreprise d’un système d’évaluation reconnu par les acheteurs américains et européens. Les audits couvriront la traçabilité RH, la gestion des documents contractuels, la non-confiscation des passeports ou encore les mécanismes de plaintes internes. L’objectif est double : prouver la conformité, mais aussi prévenir les blocages douaniers ou les risques d’image qui pourraient fragiliser la filière.
Ce virage éthique a un coût : plus de contrôle, plus de documentation, plus de formation. Mais il ouvre surtout la voie à un modèle de production plus robuste et mieux intégré aux attentes du commerce mondial. En rendant la transparence mesurable, Taïwan espère redonner confiance à ses clients et préserver sa place centrale dans la supply chain du cycle.
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