Quand la peur façonne une mobilité obèse

Cet édito part de la présentation de la petite Vinfast VF3, lors des e-trophées de l’AMAM. Une minuscule voiture électrique, une vraie, longue de 3,11 mètres, avec une bouille étrange : un style de Jeep passé au sèche-linge beaucoup trop longtemps, et pourtant capable d’accueillir cinq personnes.

Le rapport avec la mobilité ? Il arrive. Car la première réaction, après le sourire instantané, fut : « En cas de crash, il ne restera rien des occupants. » Certes, le constat est juste. Mais penser au pire avant même de penser au positif, c’est le symptôme d’une société qui a (très bien) appris que la peur fait vendre. Et pas uniquement des engins de mobilité, sinon Apple ne parlerait pas du risque de mourir d’un malaise pour promouvoir une montre connectée.

Il fut un temps où les ados rêvaient de Booster, de mobylette, ou usaient de vélos bricolés à l’arrache avec une mallette à outils très incomplète. Aujourd’hui, certains parents préfèrent leur offrir une voiture sans permis. De préférence électrique. Équipée d’un airbag. Les petites Citroën abondent à la sortie des lycées des quartiers huppés. Qui aurait cru que la peur serait le meilleur allié de l’Ami ?

Plus de 16 000 voitures sans permis ont été immatriculées en France en 2024, dont une large part en électrique. Et ce n’est pas un hasard : elles surfent sur la peur. Peur de la route. Peur du vélo. Peur des scooters. Peur que le petit dernier rentre en bus. Peur, tout simplement, de laisser son enfant affronter le monde réel sans blindage, sans airbag, sans porte.

Une Citroën Ami pèse l’équivalent de 20 vélos à assistance électrique ou de 30 trottinettes électriques. Avec 5,35 kWh, soit là encore 20 fois la capacité d’une batterie de VAE, pour une autonomie équivalente. La peur est lourde. Dix fois plus lourde, pour une voiturette qui transporte deux personnes.

Résultat : on crée une génération de conducteurs de 14 ans surprotégés dans des boîtes de conserve connectées. Et on pousse à l’absurde une tendance lourde de notre société : la mobilité devient un anxiolytique sur roues. Une promesse de protection totale, quitte à étouffer le moindre espace de liberté.

Et ça va plus loin. La voiture « standard » s’est mise au diapason. En Europe, le poids moyen des voitures neuves a grimpé de 1 553 kg en 2016 à 1 947 kg en 2023. Tout ça pour quoi ? Des capteurs, des radars, des assistances que les conducteurs s’empressent de désactiver au démarrage.

Bienvenue dans l’ère de l’autobésité. On bétonne nos trottoirs pour garer ces tankinettes de deux tonnes. On freine les vélos jugés trop rapides, qui osent traverser une « jungle urbaine » à une vitesse dite intenable par les automobilistes, car trop faible pour eux. On bride les trottinettes, et bientôt, on demandera un permis pour sortir faire ses courses à pied.

Et pendant ce temps, ceux qui choisissent des mobilités simples, ouvertes, accessibles, comme le vélo, la marche ou les transports en commun, se retrouvent relégués au rang d’« usagers vulnérables ». Ils sont les nouveaux marginaux d’une société obsédée par la sécurité. Les dramas font vendre des papiers virtuels, des montres connectées, des SUV faussement plus sécurisants et surdimensionnés, qui nécessitent une caméra à 360° pour se garer, au chausse-pied, sur des places autrefois jugées suffisantes. La peur fait gonfler les insights des chaînes YouTube qui mettent en avant les erreurs et les dangers, en omettant soigneusement le positif.

S’il est logique de vouloir se protéger des dangers, il est indispensable d’apprendre à vivre avec. Ne pas porter la responsabilité d’un accident ne signifie pas ne pas en porter les séquelles.

Alors non, les voitures sans permis ne sont pas une solution idéale. Ce sont le symptôme d’un malaise. Celui d’une société qui, à force de vouloir se protéger, finit par s’enfermer.