
Le vélotaf, c’est comme le sport. Il faut un déclic pour s’y mettre. Alors pour clôturer cette année, j’ai voulu vous parler du mien.

C’était un jeudi d’hiver. Il était 19h15, la nuit était déjà tombée depuis un moment. Je travaillais sur la plus belle avenue du monde. Celle qui fait rêver les Américains et qui a servi de munitions aux gilets jaunes. Il faisait nuit, froid et la semaine avait été rude et n’était pas finie. Je ne souhaitais qu’une chose : occulter le trajet en RER qui me conduisait chez moi et rentrer prendre une douche. Mais parfois, même les souhaits les plus simples prennent une tournure compliquée.
L’accès au quai du RER, inatteignable, ressemblait à la queue d’une nouvelle attraction Disney un jour de vacances scolaires. Il m’a fallu attendre plus d’une heure pour que je réussisse à m’introduire dans un wagon. J’étais plus collé à des inconnus que je ne l’ai jamais été à mes proches. Les poches fermées, le visage collé à la vitre, j’étais un même vivant qui tentait de récupérer un peu d’air entre deux stations. Le conducteur roulait au pas, de peur que quelqu’un ne tombe sur la voie.
Quand je suis rentré, il était 22 heures passées. Tout le monde dormait, sauf moi. Dans la douche, le pommeau débitait moins de litres d’eau à la minute que mon cerveau d’idées à la seconde. Cela a abouti à un plan, dont les prémices étaient finalement assez anciennes.
Ado, je me déplaçais à vélo, attendant le jour où je troquerais mon biclou contre une merguez à quatre roues pour jeune permis. Le papier rose est arrivé assez vite. Mais c’était sans compter sur le coût faramineux d’une auto. La 15W40 valait plus cher que l’huile de coude et ma mallette de bricolage n’était guère plus suffisante que mes compétences en mécanique. Les années ont passé et le vélo était resté comme loisir et engin de déplacement rapide abordable.
Ce soir-là s’est produit ce fameux déclic. J’ai lancé Maps, cherché le trajet adapté à un vélo pour aller de Limeil-Brevannes (dans le 94) aux Champs Élysées (la la, la la la) et programmé un réveil assez tôt. Car au petit matin, j’ai décidé, tel Frankenstein, de redonner vie à un vieux B-Twin qui servait de nid à araignées dans le box de notre F2, quand je ne m’en servais pas pour faire de petites courses. Mon frère l’avait acheté presque une décennie plus tôt et ne s’en était presque pas servi. Il avait fini chez moi. Pression des pneus, nettoyage puis graissage de chaîne et réglage approximatif des V-brakes aux patins plus lisses que mon crâne après un rasage de près. Une loupiote pour l’arrière, une autre pour l’avant. Je n’étais pas prêt, c’était parfait.
Mais l’aller n’était pas full vélo. Le RER possède des wagons à vélos. Et à cette heure-ci, depuis la gare de départ, la place ne manquait pas. Ce jour-là, je trépignais d’impatience de faire le retour. Mon âme de gosse probablement, l’adrénaline certainement, l’envie de me défouler après le taf, sûrement.
La journée finie, je me suis changé. J’avais prévu des vêtements pour le retour. J’ai rajeuni de 10 ans. Le lourd vélo à transmission pour enfant et aux pneus sortis d’une boite de Lego contrefaits me procuraient un plaisir inégalable. Rien, pas même les pavés usés de la place de la concorde, les gaz d’échappement du SP95 bon marché des vieux moteurs Cléon, l’organisation urbaine parisienne menée de main de maître par un bébé manchot ou encore l’amabilité parisienne qui n’a pas son pareil n’ont entravé mon plaisir.
Ce fut un bonheur d’une heure et sept minutes. Un plaisir de vingt-quatre kilomètres. Pendant que je pédalais, un autre gars, visiblement aussi taré que moi, sur un vélo plus précaire a décidé que faire la course serait amusant. ÉVIDEMMENT ! Nous étions en train de tout donner, rongeant le pédalier, usant la chaine et malmenant le braquet trop limité pour nos ambitions d’enfants retrouvés. Et tandis qu’on se tirait la bourre à la Bike and Furious, un homme et une femme, sur deux vélos de route dont je ne me rappelle plus des marques, sont passés entre nous comme un TGV dans une gare.
Je me souviens qu’avec l’autre outsider, nous nous sommes regardés, l’espace d’une seconde, donnant à nos cerveaux le temps d’absorber le moment au rythme des battements d’un cœur qui se languissait d’être à nouveau sollicité, avant de rire comme deux gamins, pendant que le duo s’éloignait le long de ce chemin longeant la Seine devenue la Marne.
Je suis rentré en sueur, essoufflé et, si j’avais eu des cheveux, probablement décoiffé. Le déclic était là. Oh pas pour sauver la planète. Pas même pour choper les encouragements lors de la prochaine prise de sang. Le déclic était là, parce que ce petit outil à pédales dont je rêvais de me débarrasser quelques années plus tôt venait de transformer une routine mortellement ennuyante en moment de plaisir renouvelable quotidiennement.
Je suis rentré, j’ai pris une douche et j’ai eu encore plein d’idées.
Il doit y avoir autant d’histoires qu’il y a de vélotafeurs. Et nous nous ferons un plaisir de lire les vôtres dans les commentaires.
En attendant, passez de bonnes fêtes et rendez-vous en 2026.
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