
En dix ans, tout a changé : le vélo cargo a remplacé la Clio et la trottinette s’invite en costard. La mobilité douce n’est plus un choix militant, mais un réflexe urbain, logique et assumé.
Il y a dix ans à peine, je parcourais environ 50 km quotidiens à vélo musculaire. D’abord pour compenser des transports en commun saturés et imprévisibles, puis parce que mon lieu de travail se trouvait littéralement au milieu de nulle part.
Durant cette décennie, je suis passé du statut de fou furieux voulant sans doute perdre du poids à celui de bobo écologiste, sauveur des ours polaires persuadé d’être meilleur que les automobilistes. Mais tout cela appartient au passé, car « le monde de la mobilité, il a changé ».
Quand j’arrive en vélo cargo pour déposer les enfants, les autres parents s’y intéressent. On m’aborde, on me demande quel modèle choisir pour aller travailler à X ou Y kilomètres. Les trottinettes électriques sont devenues les nouveaux scooters. Quant aux voitures sans permis, elles sont désormais l’objet de convoitise des lycéens souhaitant conclure leur date, surtout si elles sont électriques et au design rigolo. La gyroroue, elle, garde son aura d’engin du diable, mais, une fois domptée, procure une incroyable sensation de liberté — un mélange de ski et de surf urbain.

Comment cela se fait-ce ? Après tout, non, je n’ai pas changé. Je suis toujours ce type qui pédale.
La singularité humaine joue déjà son rôle : donnez des pistes cyclables, et les gens les emprunteront. Surtout si elles permettent de relier un point A à un point B plus vite qu’en voiture. En passant de 12 000 km de pistes en 2000 à 76 500 km en 2025, les villes ont naturellement encouragé leur usage.
Mais la raison la plus forte reste le temps. Autrefois, un seul salaire suffisait à faire vivre un foyer. Aujourd’hui, il en faut deux pour maintenir le même niveau de vie — souvent supérieur en consommation et loisirs. Le temps vaut de l’or : chaque minute gagnée est une victoire. Et la mobilité, justement, en fait gagner. Il suffit de comparer les temps de trajet sur 8 km en heure de pointe pour comprendre cette relativité très concrète.
L’image de ces véhicules a profondément évolué. Un adulte sur un EDPM ne passe plus pour un « adulescent » atteint du syndrome Peter Pan. Le contraste entre costume trois pièces et trottinette ne choque plus personne.

Même constat pour les voitures sans permis. Autrefois perçues comme un aveu d’échec, elles sont devenues tendance — merci la Citroën Ami. Les immatriculations sont passées de 13 376 en 2019 à 31 714 en 2024, soit +137 % en cinq ans. L’électrification a contribué à ce succès : propre (du moins en France) et économique à l’usage.
Les Français, en réalité, sont plus pragmatiques qu’on ne le croit. La marche reste plébiscitée (91 % de pratiquants réguliers) et les transports en commun séduisent 41 % des usagers quotidiens.

La dynamique est particulièrement marquée chez les 18-34 ans : 72 % utilisent les transports publics et 50 % le vélo musculaire, bien au-dessus de la moyenne nationale.
Les mobilités douces, autrefois marginales, sont désormais au cœur des tendances urbaines et intergénérationnelles (le nombre croissant de sexagénaires à gyroroue en témoigne). Les constructeurs surfent sur cette vague de nostalgie, de la gamme Renault (Twingo, R4, R5) à Peugeot avec son revival de la mobylette 103 SP.
Mais la dernière raison, et non des moindres, est financière. La thune, le flouze, le pèze, le blé, le fric, la moula, la caillasse, le pognon, l’oseille — bref, l’argent. Il arrive juste après le temps, cet autre or moderne. Les mobilités douces sont accessibles : scooters électriques à moins de 2 500 €, trottinettes étanches et durables sous les 400 €, vélos électriques pliants à 1 500 € ou encore voiturettes à moins de 8 000 €. Autant de solutions pratiques, rapides et fiables, avalant les kilomètres plus vite qu’un enfant ses bonbons d’Halloween.
Internet a renforcé cette dynamique en créant des communautés d’entraide pour réparer, améliorer et prolonger la vie de ces véhicules. Une solidarité qui ferait passer un film de Noël Disney pour un thriller sans happy end.

Finalement, contrairement à ce que répètent les médias, nous vivons une époque formidable. Ces choix de mobilité, désormais décomplexés et assumés, s’imposent par rationalité autant que par plaisir. La mobilité douce n’est plus une alternative : c’est une évidence. Elle entre enfin dans son prime.
La suite de votre contenu après cette annonce