AccueilVélo électriqueNous vivons vraiment dans une société de fragiles

Nous vivons vraiment dans une société de fragiles

Initialement, cet édito allait parler des folies proposées par les nouvelles mobilités de ces derniers temps. De l’impulsion que la RSE a générée, en servant de levier financier à des projets tous azimuts, parfois idiots, parfois malin, parfois vicieux (avec pour seul intérêt de pomper les aides gouvernementales), parfois sociaux, avec la volonté de démocratiser le déplacement rapide en milieu urbain et extra-urbain au plus grand nombre et parfois expérimentaux (qui n’auraient jamais vu le jour dans un autre contexte). Bref, de quoi se réjouir d’avoir des solutions pour lesquelles les humains auraient tué père et mère au début du 19ᵉ siècle.

Mais il s’avère qu’un évènement a tout changé. Un évènement qui remet l’église au centre du village, et la raison au centre du bulbe rachidien, l’œuf au centre de la pizza et qui rappelle que l’erreur, ça arrive. Le genre d’erreur irréparable avec laquelle il faut vivre. Parce que c’est comme ça.

Tout a débuté un matin ensoleillé. En plein essai d’un vélo cargo de type longtail, j’emmène le bambino à l’école. Lui a un casque, moi non. Il m’est arrivé de le transporter en trottinette électrique également. Toujours avec son casque, toujours sans le mien, mais toujours sur des modèles spécifiques capables d’encaisser cela.

Sur le trajet, je croise une trottinette arrêtée. À ses côtés, un homme, une femme, une jeune fille, probablement leur fille, en sanglot, les mains sur le visage. Je ne suis pas intervenu : les parents étaient là, la situation semblait sous contrôle.

Une fois ma tâche accomplie, je rentre et croise à nouveau le petit groupe, toujours au même endroit. Désormais, le visage de la jeune fille est apparent. La pommette gauche est brulée, à vif, rouge ensanglantée. Les larmes coulent sur ses joues. Je n’ai pas vu de casque. Elle a été victime d’une chute. Ça arrive. La trottinette était un modèle générique rebadgé. De type bas de gamme, avec des éléments peints en rouge pour donner une pseudo impression premium. Pour sûr, elle finira par s’en remettre, mais il va falloir prendre soin de cette brûlure, pour ne pas qu’elle soit défigurée. Cela aurait pu m’arriver, comme à tous ces parents que je croise chaque matin et qui ont trouvé en la trottinette électrique le graal de la mobilité abordable.

Si cette tribune permet de râler sur les prix parfois délirants qui sont appliqués sur les engins de mobilité, il est important de rappeler plusieurs choses :

  • Le prix élevé n’est pas un marqueur social. Il l’est même rarement dès qu’on sort de l’industrie du luxe. Les pièces qualitatives se paient, la durabilité également. L’impression de faire une bonne affaire en achetant la copie d’un truc qui fonctionne est juste une impression.
  • Le corollaire implique qu’une grosse fiche technique n’est pas forcément le meilleur plan. À prix équivalent, un modèle aux performances plus modestes sera souvent plus durable et sécurisant.
  • L’apparence est trompeuse. Le marché regorge de vélos et trottinettes électriques qui paraissent costauds, résistants, durables, parce qu’ils sont gros, lourds, pleins d’artifices. C’est un trompe-l’œil. La qualité s’observe dans la matière, dans la qualité d’assemblage. Elle est rarement visible.
  • Les vélos et trottinettes électriques n’ont rien de jouets. Certes, ils sont grisants, amusants, filent la banane et procurent une sensation de liberté sans équivalent, mais ce sont avant tout des engins de déplacement. Des objets qui morflent quotidiennement, et qui encaissent chocs, coups, torsions et érosion. Ainsi, vos 10 km quotidiens deviennent 3 000 km par an, minimum. Sur un scooter ou une moto, cela correspond à une grosse révision tous les 2 ans. Sur ces trottinettes parfois à 200 euros, rien n’est vérifié, parfois pendant plus de 5 ans.

Alors non, je ne peux blâmer les parents qui prennent des risques. Dans une société aussi paternaliste, qui explique qu’il faut bouger après avoir englouti un fast-food, qu’il faut préférer marcher que prendre sa voiture et qu’il faut manger des fruits et des légumes, tout acte insignifiant est perçu comme inconscient. La liberté est d’ailleurs de pouvoir agir selon ses envies, tant que cela ne nuit pas aux autres.

Mais cela implique d’accepter les drames qui peuvent se produire et surtout, d’accepter de vivre avec. Cette jeune fille aurait pu avoir la mâchoire brisée, un trauma crânien ou, dans le pire des cas, ne plus exister. Tout cela parce qu’elle s’est rendue sur le chemin de l’école.

Mais il ne faut pas tomber sans la paranoïa pour autant. Il existe un juste milieu, et se farcir 4 fois plus de temps pour la transporter dans une voiture qui affiche 5 étoiles au crash-test n’est pas forcément la meilleure solution.

Mais n’oublions pas que nous sommes fragiles. Qu’il suffît d’une seule fois pour que tout soit foutu. Depuis ce jour, je porte aussi un casque, au diable l’inconfort. Quant aux engins utilisés, surtout lorsque mes enfants sont installés dessus, ils se doivent d’être fiables.

Il n’y a pas de morale. Mais une évidence : la pire douleur, ce n’est pas de souffrir pour soi. C’est de souffrir pour un choix qu’on a fait pour les autres.

Bon ride à tous.

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