Ah, la politique et les déplacements urbains ! Si on vous dit « vélo » ou « trottinette », vous imaginez sans doute un hipster écolo, une sacoche en cuir végan (oui en plastique) accrochée à l’épaule, des idées vertes pleins les pédales, militant pour le parti qu’il défend sur les réseaux sociaux, réseaux tenus par les entreprises qui sont à l’opposé de ses idées. Pourtant, les clichés ont la vie dure, et la réalité est bien plus drôle, diversifiée et souvent, très souvent, surprenante. Ça tombe bien, ce sont les élections européennes aujourd’hui ! L’occasion était trop belle…
La première idée reçue, et non des moindres est de penser que tous les cyclistes votent pour le parti écologiste. Dix-millions de vélos vendus au cours des cinq dernières années. Si c’était le cas, le parti n’aurait pas plafonné à 4,63 % aux dernières présidentielles.
Puis un vélotaffeur, c’est avant tout quelqu’un qui se rend sur son lieu de travail, donc qui a un travail. C’est déjà une brèche énorme. Prenons ce gars, qui vote à droite, CSP ++, cadre dirigeant. On l’imagine sans enfant, au volant de sa berline BMW toutes options, le costume cintré et austère, plus fidèle à la TICPE qu’à sa femme. Pourtant, il roule en SUV familial le weekend, mais va bosser à vélo. Parce que c’est chouette, c’est rapide, c’est un bon moyen d’arriver à la même heure et de gagner un temps conséquent au retour, pour chercher le plus jeune des 3 gosses. Il a des idées de gauche parfois, de droite souvent. Il déteste les extrêmes, même en cornets. Il n’a rien du bobo écolo. Mais lorsqu’il arrive au boulot, c’est l’étiquette qu’il se prend de facto.
Ajoutons cette jeune trentenaire, qui voue une admiration non dissimulée pour la rigueur budgétaire et utilise un vélo de route à 12 k€ pour vélotaffer en semaine et enchainer les côtes le weekend, surtout celle de bœuf. Elle est à fond sur le mérite. Elle déteste les gens assistés, que ce soit par la CAF ou par un moteur de vélo. Elle pourrait vendre des formations, pour expliquer aux autres comment monter son entreprise. Mais elle n’a pas le temps. Entre les placements crypto, le délire de l’action Nvidia et ses entrainements du soir, c’est impensable. Quand elle débarque au bureau, tout est carré, sauf ses roues. Elle est équipée, de la tête aux pieds. Elle a même convaincu la boite d’installer des douches, grâce à une projection financière avec ROI en 4 ans. Pourtant, lorsqu’elle arrive en cuissard, avant de se changer, elle ressemble à tous les cyclistes. Une foi changée, jamais on ne l’imaginerait pédaler.
Et puis il y a cette personne, socialiste convaincue. Ses discours sur l’égalité et la justice sociale sont presque aussi passionnés que sa bataille quotidienne contre les automobilistes envahissants. Elle chevauche un VAE avec la même ferveur qu’elle défend l’accès universel aux soins de santé. Pour elle, chaque trajet est une opportunité de prouver que l’énergie propre peut vraiment changer le monde, surtout le monde capitaliste. Elle fait fi des antécédents de la boite pour laquelle elle travaille et considère les patrons comme propriétaires comme les poisons de la société. Elle rêve d’un monde équitable, mais confond simplisme et simplicité.
Ne sous-estimez pas non plus l’anarchiste du coin. Pour lui, chaque coup de pédale est une rébellion contre le système. Il parcourt les rues avec une liberté inégalée, défiant les feux rouges, les autres usagers de la route et les conventions sociales avec un sourire espiègle. Il bombarde sur un vélo totalement modifié, capuche sur la tête, ne s’arrêtant jamais. Il se faufile entre les piétons, les voitures et les autres cyclistes. Le monde est un foutoir, alors rajoutons du désordre. Pour lui, tous les systèmes sont mauvais. Voter, c’est déjà se soumettre au système. Ne pas voter, c’est cracher sur la liberté. Que faire alors ? Il ne sait guère. Il n’a pas de solution, uniquement des problèmes.
Et n’oublions pas le centriste, cet insaisissable équilibriste de la politique. Il navigue entre les voitures avec une aisance déconcertante, prônant le compromis à chaque intersection. Son vélo est équipé des gadgets les plus récents, pour donner de la consistance à son style trop neutre. GPS, clignotants intégrés, et cette sonnette à l’ancienne, brillante, marié de force à cet éclairage coloré en forme de testicules, les jours où il veut être « provocateur ». Pour lui, chaque trajet est une métaphore de la politique : avancer sans froisser, progresser sans heurter.
Enfin, il y a ce cadre, plutôt bien placé. Toujours tiré à 4 épingles. Son vélo doit avant tout avoir du style. Il a une sacoche, parfaitement accordée à sa tenue du jour. Son ensemble presque sur mesure termine par une paire de chaussures absolument inadaptée au vélo, qu’il prend soin de protéger contre les intempéries, avec un spray imperméabilisant. Faire du vélo, oui. Mais ressembler à un poussin jaune, ça, jamais. Il a la flemme de voter. Alors il n’en parle pas. Lorsque quelqu’un aborde sur le sujet avec lui, il dit qu’il hésite. Dans les faits, il votera blanc ou ne votera pas. Pour lui, ça ne changera rien au monde actuel. Puis c’est nettement moins intéressant que sa veille sur les tendances lifestyle.
Bref, la bicyclette et la trottinette ne sont pas l’apanage d’une seule idéologie, elles ne l’ont jamais été. Un coup de pédale n’a rien d’un acte politique et une trottinette n’est rien d’autre que la revendication de se déplacer.
Derrière ces casques se cachent mille visages, du fervent partisan de l’austérité au révolutionnaire en puissance, en passant par le pragmatique endurci ou le désintéressé. La route est à tout le monde, et c’est (presque) la seule chose sur laquelle ils sont tous d’accord. Car dans l’isoloir, personne n’a à rendre de compte à qui que ce soit. Aucune image à défendre, aucun profil de réseau social à honorer. Juste un moment rare pour exprimer le fond de sa pensée, et ajouter sa pierre à un édifice qui en a besoin pour être solide.
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