AccueilVélo électriqueMoi aussi, j’aurais pu écraser un cycliste

Moi aussi, j’aurais pu écraser un cycliste

« Il est là, en train de forcer sur la droite, alors que j’ai indiqué que je devais tourner depuis un moment, quand il était encore 30 mètres derrière, à pédaler dans la semoule, déguisé en pingouin. Tu crois qu’il aurait ralenti ? Ben non, il a accéléré, tu comprends, fallait qu’il passe avant moi. Ça l’aurait tué de ralentir. Puis le feu était à l’orange quand je suis passé. Comment a-t-il pu ne pas le griller en étant 30 mètres derrière ? Donc lui ne respecte rien, et moi, je dois le respecter, lui ? Va mourir ! Je tourne. De toute façon, il va s’arrêter, il n’a pas le choix. »

La suite est simple. Le vélo tape la voiture, le cycliste s’envole, puis vient, par chance, heurter le sol de la meilleure des manières. Une aile froissée, un vélo au cadre plié, quelques petits bobos d’un côté et une personne embêtée de l’autre. Embêtée, parce qu’elle vient de réaliser une tentative d’homicide volontaire. Quant à la victime, elle a plongé recouverte de sang frais à côté d’un requin blanc affamé.

Tandis que le tribunal populaire des réseaux sociaux se mutile à coups de caractères et d’émojis, tout le monde passe à côté de l’essentiel : les causes qui ont engendré l’accident. Les causes, elles sont nombreuses, et les coupables ne sont pas ceux que l’on imagine.

Hier, un ami venait de terminer son 4ᵉ jour de bikepacking avec son frère. Des centaines de kilomètres à travers la France. Aucun souci à déplorer, si ce n’est comment partager, de manière synthétique, autant de souvenirs amassés au fil des kilomètres. De l’autre, un rapport complet de 40 recommandations afin « d’apaiser » les tensions sur la route. Rapport émis par Emmanuel Barbe à la suite de l’accident qui a engendré la mort de Paul Varry. Un sacré grand écart. Comment, d’un côté, il est possible de parcourir des centaines de kilomètres en toute quiétude sur des routes qui ne sont pas conçues pour, et de l’autre, assister à autant de rage sur des infrastructures adaptées (ou presque) ?

Dans un cas, le vélo est juste un plaisir, une expérience de vie qui vise à ralentir le rythme du quotidien et à prendre le temps de se retrouver. De l’autre, il s’agit d’un moyen d’aller plus vite, de gagner du temps, de courir contre la montre et espérer gratter du temps de vie, le tout dans un environnement composé de groupes d’individus à la mobilité hétéroclite. Chacun de ces groupes suit ses propres règles (ou pas), et le tout forme un joyeux bordel où les règles du Code de la route sont plus arrondies que la part à payer dans une sortie resto entre potes. Sous réserve de le connaître, ne serait-ce qu’un minimum.

Les automobilistes, toujours derrière leur volant, se sentent protégés par leur coque de métal, mais oublient qu’ils sont aussi responsables des dangers qu’ils créent. De l’autre côté, les cyclistes, eux, se sentent vulnérables et libres d’envoyer valser les règles, sous prétexte qu’ils ne sont pas dangereux et par conséquent, qu’ils ne peuvent faire de mal.

Il serait possible de tacler les infrastructures. Mais dans les faits, la cause du problème est à chercher en amont. Dans le quotidien des actifs. Pression, boulot, manque de sommeil, routine et frustration. La charge mentale est énorme. Qu’il soit musculaire ou à assistance électrique, le vélo a ça de magique qu’il permet de la libérer, tout en se rendant quelque part. Dans le feu de l’action, le cycliste enchaîne les tours de pédales. Il n’est pas à la place de l’automobiliste, ne raisonne pas comme lui. De l’autre côté, l’automobiliste a une perception du temps faussée. La minute gagnée en passant à un orange bien mûr sera perdue au moment de vous garer à l’arrivée. Le gain est marginal, sinon insignifiant. Si vous en êtes à gratter une minute sur votre temps de trajet, c’est que votre problème est plus profond.

Quant au vélo, il n’est que rarement vendu avec des pédales, alors n’imaginez pas qu’il soit proposé avec 9 vies.

Le problème n’est donc ni le vélo, ni l’automobile, ni l’outil permettant de se déplacer. Le souci est notre perception du temps et la manière dont nous l’utilisons dans nos vies. Nous n’avons jamais disposé d’autant de temps qu’à notre époque, temps gagné grâce au progrès. Mais aussi paradoxal que cela puisse paraître, nous n’en avons également jamais autant manqué. Pourtant, les journées durent 24 heures, qui que vous soyez, où que vous soyez.

L’accident, le mouvement de trop, le mauvais choix, celui qui gâchera plus d’une vie, n’est que la conséquence de votre incapacité à gérer celle que vous avez. Ça fait mal à entendre, certes, mais c’est la réalité. Si vous courez sans cesse après la montre, c’est que vous êtes incapable de vivre. Dès lors, comment être surpris que cela engendre la mort ?

Enlever le temps de l’équation et les routes s’apaiseront d’elles-mêmes. Le souci vient donc bien d’ailleurs. Mais le régler revient à repenser totalement notre façon de fonctionner, et ça, ça demande plus qu’un pictogramme blanc peint sur un morceau de route.

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