À la tête d’Accell France depuis 2022, William Perrier pilote une transformation stratégique profonde dans un contexte délicat pour l’industrie du vélo. Rencontre avec un dirigeant jeune, lucide, et déterminé à redonner de la traction à un marché en perte de vitesse.
Quand on lui demande son âge, William Perrier sourit : « Pas encore 35, fin octobre ! » En 2022, il devient directeur général d’Accell France, le groupe qui réunit notamment Lapierre, Haibike, Winora ou encore Babboe. Un poste à haute tension dans un marché vélo bousculé par l’après-COVID. Mais pour cet ancien cycliste de haut niveau, l’effort et la pression font partie du quotidien.
« J’ai fait 20 ans de sport de haut niveau, dont 10 à très bon niveau amateur. Quand j’ai compris que je ne passerais pas pro — et que je ne voulais pas rejoindre un univers où les valeurs du vélo étaient parfois bafouées —, j’ai repris mes études, jusqu’au master en alternance. — William Perrier (DG Accell France) »
Après une première expérience chez CycleLab (Culture Vélo, Bouticycle…), il rejoint Merida, où il participe à un développement spectaculaire. En trois ans, le réseau triple, le chiffre d’affaires quadruple. Accell le repère et lui confie la direction des pièces détachées en 2020, avant de le nommer DG de la division vélos deux ans plus tard.
À peine nommé, il se retrouve au cœur d’un double choc : un marché retourné, des rumeurs sur l’avenir du groupe, et des stocks qui explosent. « On a connu le pic de la demande en 2022, puis un ralentissement violent, avec des niveaux de stock très élevés. Il a fallu stabiliser l’ensemble avant de pouvoir transformer. »
Cette transformation porte un nom : stratégie « One Accell ». Elle vise à sortir des anciens schémas d’organisation par marque, pour construire une approche unifiée. « Aujourd’hui, nos commerciaux sont formés pour porter toutes les marques. Ce qui pouvait paraître complexe est devenu une force. On a aussi nettoyé nos gammes pour éviter que les marques se cannibalisent. »
Ce travail s’est accompagné d’un effort de clarification logistique et commerciale. « On avait deux entités juridiques, plusieurs niveaux de prix, des stocks dispersés… Ce n’était plus soutenable. » En 2024, Accell France réduit ses stocks de 70 % par rapport à 2023. « C’est ce qui nous a permis de regagner en agilité et de pouvoir enfin relancer des investissements. »
Dans l’écosystème Accell, la France tient une place particulière grâce à Lapierre. « C’est notre maillot jaune. Elle pèse près de 60 % de notre activité vélo en France. » Une marque forte, patrimoniale, qui bénéficie d’un vrai attachement du réseau de distribution.
À Dijon, l’usine assemble chaque année entre 20 000 et 25 000 vélos haut de gamme. « Personne n’est dupe sur l’origine des composants. Mais l’assemblage français, sur ce segment, est un vrai plus. » Le “made in France” intégral reste une perspective lointaine, mais pas absente des réflexions. « On regarde aussi du côté du Portugal pour un made in Europe de qualité. Mais pour l’instant, on se concentre sur ce qu’on peut faire de mieux avec notre outil industriel actuel. »
Le vélo à assistance électrique reste le moteur de la croissance du secteur. En France, il représente environ 60 % du chiffre d’affaires, dont les deux tiers concentrés sur les usages liés à la mobilité. « Ce sont des gens qui, en 2023, n’imaginaient pas encore rouler à vélo. C’est ça, la vraie croissance. »
Parmi les marques du groupe, Winora tire son épingle du jeu, avec une progression de +40 % en 2024. Et la dynamique semble se confirmer en 2025. « On a repositionné la marque avec une gamme urbaine accessible, bien distribuée, et qui répond à un besoin clair. »
Mais la prudence reste de mise. « Le premier trimestre 2025 est encore à -10 ou -15 % selon les acteurs. La reprise n’est pas encore là. Pourtant, quand on regarde les usages, les gens roulent. C’est là qu’on voit qu’il manque autre chose. »
William Perrier ne cache pas son agacement face au manque de soutien institutionnel. Pour lui, la filière vélo ne pourra pas se structurer durablement sans un cadre clair et ambitieux.
« On a une industrie qui touche à la santé, à l’environnement, à l’évolution de nos villes. Et pourtant, on annule un plan vélo tout en offrant un vélo au roi du Danemark… Je ne comprends pas. — William Perrier (DG Accell France) »
Présent lors de l’Observatoire 2025 de l’Union Sport & Cycle, il interpelle les pouvoirs publics. « Qu’est-ce qui bloque ? Ce n’est pas une question d’inflation ou de guerre en Ukraine : ces freins existent partout en Europe. Alors pourquoi ailleurs, les choses avancent, et pas chez nous ? »
Il pointe une absence de vision long terme. « Ce n’est pas seulement une affaire d’aides à l’achat. Ce qu’il faut, c’est un accompagnement global : infrastructures, stationnement, sécurisation, formation. »
Sur ce dernier point, il partage un souvenir personnel : « Je fais partie de la génération qui passait un permis vélo à l’école primaire. On avait des règles à apprendre, un petit parcours à faire. C’était concret, ludique, mais surtout formateur. Aujourd’hui, ça a disparu. Et pourtant, c’est le genre d’initiative qui ancre durablement les bons usages. »
Pour lui, l’exemple néerlandais doit rester une référence : « Il y a 50 ans, les Pays-Bas n’étaient pas plus cyclables que nous. Ils ont pris une décision politique forte. C’est ce qui manque en France aujourd’hui. »
Dans un contexte incertain, William Perrier mise aussi sur l’humain. Fils d’agriculteur, il reste fidèle à ses racines. « Je parle souvent de BSP : bon sens paysan. C’est ma boussole au quotidien. »
Il veille à l’équilibre personnel de ses équipes, et le sport fait partie intégrante de la culture d’entreprise. « On a élargi la pause du midi à deux heures pour permettre à chacun de courir, rouler, s’aérer. Moi-même, je m’entraîne encore régulièrement, et je roule parfois avec les salariés. Ces moments changent la dynamique : les idées circulent différemment. »
Cette proximité sur le terrain renforce la cohérence entre le discours stratégique et les réalités du quotidien. « On ne pilote pas une entreprise de vélo uniquement depuis un bureau. Il faut rester connecté à ce que vivent les gens. »
Produits, innovation, transition industrielle : dans la suite de cet échange exclusif, William Perrier partage ses convictions sur les leviers de relance d’un secteur en pleine recomposition. À lire bientôt sur Cleanrider.
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