À la tête de la division eBike Systems chez Bosch depuis 2012, Claus Fleischer livre une analyse sans détour du marché du vélo à assistance électrique. Évolution du marché post-covid, réglementation, intelligence artificielle, standardisation… Il défend un développement raisonné et met en garde contre les dérives technologiques de certains concurrents, engagés dans une course à la puissance qui pourrait nuire à toute la filière.
Fin juin, Bosch présentait en marge du salon Eurobike ses nouveautés 2025-2026. L’occasion pour Cleanrider de réaliser un premier test du nouveau moteur Bosch PX, mais également de s’entretenir avec Claus Fleischer, à la direction de la division eBike Systems du groupe.
Le secteur du vélo a connu des hauts et des bas ces dernières années. Comment Bosch a-t-il traversé cette période ? Comment anticipez-vous les prochaines années ?
Claus Fleisher : « Ces six dernières années ressemblent à des montagnes russes, avec une demande artificiellement trop élevée après le Covid, entre 2020 et 2022. Les revendeurs commandaient trop, pensant que cela durerait éternellement.
Mais tout s’est inversé rapidement quand le marché s’est normalisé, avec un ralentissement lié à l’inflation, à la géopolitique etc…. Toute l’industrie s’est alors retrouvée avec des stocks trop élevés : les revendeurs, les fabricants et même nous ! Cela a provoqué un blocage de la chaîne d’approvisionnement, avec des annulations en cascade mettant certains acteurs en grande difficulté financière.
Cette année semble être une année de transition et on espère que les niveaux de stock vont baisser. À partir de 2026, on espère retrouver une dynamique comme celle de 2014 à 2019 : une croissance saine et solide du marché du vélo électrique. Et c’est une bonne chose ! »
DJI, Mahle etc… beaucoup d’acteurs se lancent sur le marché du vélo électrique. Comment Bosch appréhende cette nouvelle concurrence ?
CF : « Le paysage concurrentiel évolue chaque année. Au cours des 10 à 15 dernières années, nous avons vu arriver des concurrents de différents horizons — de l’industrie du vélo comme d’autres secteurs. Certains ont déjà quitté le secteur, peut-être, car il n’était pas si simple d’y rester. »
Quelle est la principale force de Bosch par rapport à ses concurrents ?
CF : « Notre compétence principale est l’ingénierie de chaque composant, avec une excellente synchronisation et un bon équilibre entre eux, pour assurer un fonctionnement harmonieux. Les fabricants disposent aujourd’hui de solutions clé-en-main. Ils peuvent associer différents moteurs, batteries, écrans, dispositifs connectés, faisceaux de câbles, chargeurs…
Surtout, nous garantissons une qualité de service partout dans le monde. C’est essentiel sur ce marché où il faut accompagner les fabricants, mais aussi les distributeurs. Qu’il y ait un problème en France, en Espagne, en Italie, aux États-Unis ou en Australie, c’est le même logiciel, le même système de diagnostic — le revendeur sait quoi faire et qui appeler. C’est ça notre grande force. »
Aujourd’hui Bosch travaille sur un système propriétaire. Avez-vous l’intention d’être plus ouverts ?
CF : « Ce n’est pas spécifique à Bosch, car d’autres font pareil, et ce pour les mêmes raisons : qualité, fiabilité et service. Sinon, la responsabilité est dispersée, et ce n’est pas une bonne expérience, ni pour client final, ni pour le revendeur. Si on regarde les derniers chiffres de rappels de produits chez certains concurrents, cette politique nous donne raison.
Pour autant, nous ne sommes pas totalement fermés. Chaque année, nous intégrons de nouveaux fournisseurs. A Eurobike, avons annoncé de nouveaux partenaires pour eShift et le Bosch eBike ABS. Mais cela demande un véritable protocole. Proposer une solution plug-and-play demande toutefois énormément de travail d’ingénierie, sinon si cela ne fonctionne pas et ce ne sera pas une bonne expérience pour l’utilisateur. »
L’an dernier, vous avez intégré l’IA avec la gestion de l’autonomie. Allez-vous poursuivre dans cette direction pour de futures applications ?
CF : « Comme tout le monde, nous utilisons l’IA. L’IA est déjà devenue une norme dans notre environnement de travail : dans nos processus, notre chaîne d’outils pour le développement logiciel, la collecte et l’analyse de données. L’IA nous aide à être plus efficaces et productifs, surtout avec le big data. Nous avons énormément de données dans notre cloud issues de différentes applications, ce qui nous permet d’être à la fois plus précis et plus rapides.
Par exemple, nous utilisons l’IA dans la gestion de l’autonomie. Traditionnellement, l’autonomie était calculée à partir des données historiques de consommation. Désormais, nous comparons vos trajets et votre historique avec ceux d’autres cyclistes ayant réalisé un parcours similaire, avec un niveau d’assistance et un poids comparable. Cela permet un calcul bien plus précis.
Il y a d’autres usages à venir : L’IA nous aide à comprendre les comportements et les tendances à partir de grandes quantités de données, pour réagir plus vite et avec plus de précision. »
Donc, vous utilisez les données des utilisateurs pour trouver de nouvelles applications ?
« Oui, et ce n’est pas spécifique à Bosch. C’est le principe même de l’IA : sans données, l’IA ne sert à rien. Nous utilisons des données qui sont massives, mais anonymisées. Il est impossible de les relier à un cycliste en particulier. »
CHAdeMO a développé une norme de recharge universelle pour les vélos électriques à laquelle Bosch a participé. Où en est-on aujourd’hui ?
CF : « L’idée de CHAdeMO était de former un consortium d’industriels pour développer une norme ensemble. Malheureusement, peu d’entre eux ont rejoint l’initiative. Trop d’acteurs ont voulu suivre leur propre feuille de route propriétaire. Ils voulaient sortir leur propre chargeur rapide, faire leurs propres annonces… sans participer à l’initiative commune.
Résultat : CHAdeMO a perdu de l’élan, faute de partenaires industriels clés. Et on se retrouve à nouveau avec une multitude de chargeurs propriétaires, ce qui dessert le marché dans un contexte où la Commission européenne appelle à une recharge standardisée. Mais voilà, c’est l’industrie du vélo… »
J’ai vu que la Commission européenne veut modifier les règles pour les vélos électriques. Comment appréhendez-vous ces changements ?
CF : « La Commission européenne a mené plusieurs études, avec deux constats principaux. Le premier, c’est que les VAE (vélo à assistance électrique) ont énormément évolué grâce aux progrès techniques et à la diversification du marché. Aujourd’hui, la définition actuelle ne suffit plus pour dire ce qui est encore un vélo et ce qui devient un cyclomoteur ou un véhicule électrique léger.
Le deuxième point, c’est la montée rapide des « Personal Mobility Devices » — trottinettes, monoroues, fat bikes, etc. Ils se sont développés plus vite que la réglementation. Les régulateurs sont dépassés : où placer le VAE dans ce nouveau paysage ? Car les VAE bénéficient du statut de vélo : pas d’homologation, pas de plaque, pas d’assurance. Ce n’est pas le cas des PMD ou des LEV.
« 85 Nm et 600 watts, c’est largement suffisant ! »
La question est de savoir ce qui reste un vélo ? Il faut clarifier les zones grises, combler les vides juridiques.
Sinon, les règles imposées aux PMD et LEV finiront par s’appliquer aussi aux VAE. Par exemple, les Speed Pedelecs sont des LEV. Si les VAE sont traités pareil, ils ne pourront plus rouler dans les forêts ou en montagne. »
Actuellement, il y a une course à la puissance sur les vélos électriques. De nombreux motoristes annoncent des blocs en 100 Nm, voire plus. N’est-ce pas aller trop loin ?
CF : « Nous l’avons dit l’an dernier, et nous continuons à le dire : selon nos données et les usages réels des consommateurs, 85 Nm et 600 watts, c’est largement suffisant ! D’ailleurs, 600 watts était la limite légale en Autriche dans le passé. Personne ne le savait, mais tous les systèmes y étaient limités. Et personne ne s’en plaignait.
Aujourd’hui, certains concurrents exploitent les zones grises et pensent qu’augmenter les chiffres dans les catalogues, c’est de l’innovation. Mais ce n’est pas le cas ! Cela nuit à l’image du vélo électrique aux yeux des régulateurs et de la société. Le vélo électrique est une tendance positive. Mais si cela évolue trop vite, trop fort, on risque un retour de bâton !
Nous participons à de nombreuses discussions sur l’accès aux sentiers, partout en Europe : en Allemagne, en Italie, en Suisse, en Autriche, en Scandinavie… Et on s’approche d’une situation où les VTT électriques pourraient être interdits !
S’il n’y a plus d’accès en France ou en Italie, alors c’est la fin de l’enduro électrique. C’est le risque. Et c’est pour cela que nous disons : attention, cela peut être dangereux. Certains jouent avec le feu. Plus de puissance, ce n’est pas de l’innovation. Cela peut détruire tout ce que nous avons construit. »
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