L’ironie, voici un concept qui nous est propre à nous, humains. Nous aimons d’ailleurs bien mettre en avant, dans un élan d’orgueil, notre capacité à nous distinguer des bêtes sauvages. Un comble pour ce qui pourrait être considéré comme le parasite le plus prolifique sur Terre. Et l’ironie est le sombre thème de l’édito de cette semaine.
Le 10 octobre dernier, Cleanrider vous expliquait que le plan vélo risquait de se voir raboter violemment, voire totalement, dans le but de réaliser des économies sur le court terme. Car quiconque a plus de deux neurones fonctionnels comprend, d’après la coulée d’études qui va dans ce sens, que les nouvelles mobilités, et plus particulièrement le vélo, sont bénéfiques à la santé physique et au bien-être mental. Cerise sur le cupcake bio, le vélo émet moins de CO2 qu’une voiture et, de manière plus large, moins de cochonneries dans l’atmosphère. Des cochonneries, de celles qui abîment les poumons et augmentent les ventes de Ventoline. Donc utiliser des vélos, c’est réduire l’usure des routes, améliorer la santé générale de tous et réduire les risques cardiovasculaires de ceux qui pédalent. De quoi économiser du côté de la Sécu, en plus du génie civil. Elle n’est pas belle, la vie ?
Mais visiblement, les personnes qui votent les lois, celles qui s’inscrivent dans une volonté d’un meilleur profil LinkedIn que d’un meilleur vivre-ensemble, ne percutent pas l’essence de ce fait. Dans une course au paraître professionnel, une course de l’ordre du sprint, les visions court-termistes sont favorisées, car demain est déjà trop loin. L’inertie des mesures sociales est importante, aussi importante que la mousse qu’on attend aujourd’hui pour un semblant de travail. Dès lors, la mesure sociale cède ironiquement sa place à un suicide social.
Alors le plan vélo y passe. Les fans d’automobiles sont ravis, oubliant qu’on leur impose une mutation forcée et accélérée du parc auto, au nom de la sacro-sainte écologie, qu’importe si ça met la classe moyenne au plus bas. Cette écologie qui, dès qu’il s’agit de mobilité, se retrouve à coûter trop cher. Faire payer les citoyens pour cette cause, oui, mais l’État, ironiquement, non.
Mais l’écologie n’est pas tout. Le vélo, c’est également un mode de vie. Telle la salle de sport, pédaler pour bouger devient une sorte d’habitude. Et pour le faire en toute sécurité, il faut des infrastructures. Un raisonnement que les deux neurones sont, là encore, capables d’encaisser.
Car ce sont 400 communes et collectivités qui ont réalisé des demandes, pour favoriser le vélo, la trottinette électrique, la gyroroue ou juste la marche à pied. Elles attendent, avec une crainte justifiée, la réponse à leurs doléances.
Ajoutons maintenant un peu de physique quantique à ces deux neurones. Après tout, autant les utiliser au maximum de leur potentiel. Dans un documentaire qui lui était consacré, le physicien Stephen Hawking avait expliqué la relativité du temps par cette phrase : « Grâce au progrès, nous n’avons jamais disposé d’autant de temps pour nous qu’aujourd’hui et, paradoxalement, nous n’en avons jamais autant manqué en même temps ».
Ce manque de temps, ce fait d’être pressé, nous fausse totalement la perception de son écoulement. On traîne une heure de plus le soir, 15 minutes de plus le matin, mais on prend nos affaires « à l’arrache » et en sortant, on bombarde sur la route pour gratter une poignée de secondes, persuadés que nous allons récupérer tout le temps précédemment dépensé. Ce temps gagné est insignifiant. Cette course effrénée accroît un mal capable de toucher aussi bien le corps que l’esprit : le stress. Au point de vriller. Au point de faire ressortir la bête qui est en nous, au point d’éteindre les quelques neurones qui servent de garde-fous à nos actions, pour que nous puissions vivre en société. Au point de perdre ironiquement le temps qu’on essayait de gagner pour tuer quelqu’un. Littéralement. Lui ôter la vie. L’ôter à sa famille, à ses amis, à un futur. Au point de tuer un jeune adulte de 27 ans. Parce qu’on s’est juste embrouillés, comme deux gamins se disputant un jouet. Mais là, il n’y avait même pas de jouet.
Ce que les personnes qui votent les budgets ne comprennent pas, visiblement, c’est que dans ce cercle absolument pas vertueux, on ne fait pas marcher des souris avec des éléphants. La vie n’est pas une fable de La Fontaine. Les voitures et les vélos ne peuvent cohabiter correctement. Qu’importent les efforts faits des deux côtés, il suffira d’un écart pour que ce soit l’anarchie dans les rangs. Et ce n’est pas une histoire de respect du code de la route ou de respect d’autrui, mais une histoire de logique, de physique, de rationalité. Quelque chose de quantifiable, vérifiable et inéluctable. Une chose qui n’a rien de paradoxal et encore moins d’ironique.
En coupant les budgets permettant de séparer ces moyens de transport, on place des automobilistes, des cyclistes, des piétons dans un énorme tube vert étiqueté « écologie », on le bouche, le met à chauffer et on attend de le voir exploser. Alors, on aura la tête d’un môme qui assiste à ce qu’il s’attendait à voir, l’air idiot, et on se dira « si on avait su », pour se défausser. Car avant même de remplir ce tube, on savait…
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