Ce samedi 22 juillet 2023, Gaëlann et moi étions en déplacement chez Breizh Riders connu pour diffuser des motos Indian à fort caractère. En marge de l’interview d’un couple de bikers venus découvrir l’électrique à l’invitation de Cleanrider, j’avais la mission d’interviewer le boss de la concession : David Pillonetto.
Quelques mots sur l’histoire d’Indian
Quand vous poussez la porte de Breizh Riders, vous entrez dans le monde des bikers américains. Si vous l’aviez oublié, un drapeau, le signe à la tête d’Indien et les chemises bûcheron au rayon Apparel sont là pour vous le rappeler. Créée en 1901 à Springfield dans le Massachussetts, la marque Indian produit des motos dont le look évoque un autre constructeur sans doute plus connu des initiés : Harley-Davidson, né 2 ans plus tard dans le Wisconsin, à Milwaukee.
Dans un marché français d’un peu plus de 180 000 bécanes en 2022, Indian a pesé un peu moins de 1 % de part avec 1 752 machines vendues, principalement ses modèles Scout Bobber et Chief Dark Horse. Elle ont représenté à elles deux environ 40 % des acquisitions. Pour comparaison, sur la même période, Harley-Davidson a livré en France 5 087 motos, soit 2,8 % de part de marché, en baisse depuis 5 ans. En 2018, Cette marque avait vendu près de 9 000 unités, contre 1 512 chez Indian dont la courbe tend à progresser.
Parce que c’est un film passionnant, Burt Munro, joué par Anthony Hopkins, retrace l’histoire de ce passionné néo-zélandais qui a rusé pour inscrire son Indian Scout dans les records du lac salé de Bonneville.
Premier contact
Avant de rencontrer le dirigeant de Breizh Riders, j’imaginais avoir affaire à un personnage de type biker américain, à la stature impressionnante, barbu, cheveux courts, voix grave, en jean et tee-shirt, tutoyant facilement. Mais dans ce cas, comment pourrait-il placer des Zero Motorcycles qui seront forcément très discrètes, voire invisibles dans un magasin où les thermiques sont de furieuses sportives ou de sonores routières attirant les regards par leurs chromes, du cuir, un moteur aguicheur et des coffres pour voyager loin ? Bref, un monde de passion contre la sagesse du zéro émission.
Sur place, au 4 Rue Newton à Montgermont, David Pillonetto correspond parfaitement à l’idée que j’avais de lui. Et ce doigt levé au cours d’une explication pourrait même être une entrée pour le casting d’une production recherchant son mythologique Poséidon.
Dès les premières phrases échangées, nous sentons de suite que le boss du lieu est convaincant : « Nous ne sommes pas là que pour distribuer des motos. Nous avons une vraie réflexion derrière. Il ne s’agit pas de renier d’où l’on vient, mais de se demander ce que l’on peut garder et ajouter pour préparer un bel avenir aussi bien au niveau professionnel que personnel ».
Souvenir d’enfance
Penser à la mobilité durable trouve souvent sa source dans un événement qui peut remonter loin : « J’ai des origines italiennes, de Turin. Fenêtres ouvertes sur une grande rue, il y avait de quoi se chopper le cancer en 5 minutes. Au feu rouge, on entendait une rangée de 6 voitures accélérer pour démarrer au plus vite. Il y avait aussi une nuée de Vespa, et le tram qui faisait un bruit épouvantable à faire trembler les murs ».
L’écologie, il s’y intéresse depuis un moment déjà : « Est-ce antinomique avec mon activité ? Non, ça ne l’est pas. Je pense qu’il y a pas mal de choses à récupérer dans ce que dit Jean-Marc Jancovici. C’est un engagement sociétal. La morphologie des villes va changer demain, et on ne sait pas encore ce que ça va donner ».
Visionnaire, David Pillonetto est pleinement conscient de ce qui se met en place actuellement : « Entre les zones à faibles émissions, le nombre de stations essence en baisse, les champs d’applications qui seront restreints, s’il n’y aura plus le choix, les motos électriques s’achèteront pour pouvoir continuer à se déplacer ».
Nouveauté de l’année 2023
Breizh Riders existe depuis une dizaine d’années : « J’ai repris en 2019 l’entreprise qui vendait déjà des motos Indian. Nous avons ajouté les Zero Motorcycles en avril dernier ». Devant et dans le magasin, c’est vrai que l’on ne remarque pas forcément ces dernières. Un peu comme lorsque vous vous rendez à un meeting de tuning et que quelques voitures classiques et non transformées sont garées à proximité.
Encore que, ce bruit de soufflerie au fond du magasin, qu’est-ce que c’est ? Tout simplement une Zero DSR/X en pleine recharge. Et là, on commence à les voir ces bécanes branchées. Pourquoi des motos électriques chez Breizh Riders ? Pourquoi la marque Zero Motorcycles ? Quel modèle commercial ? Forcément, retrouver ces machines dans un magasin à la forte présentation folklorique fait se poser pas mal de questions.
« On voulait amener une nouvelle offre. J’ai pensé qu’il ne fallait pas attendre et subir, mais plutôt déjà gérer le futur avant qu’il ne soit plus possible de rouler autrement qu’électrique. C’est le bon moment pour proposer ces motos. Afin de rester dans le thème du continent, dans l’esprit américain, il fallait donc une marque américaine. Ce qu’est Zero Motorcycles ».
Polaris Industries….
Lors de la conversation, David Pillonetto cite un autre point commun que l’on n’attendait pas forcément : Polaris Industries. « Indian a longtemps été le premier constructeur mondial de motos, amenant des innovations importantes comme les poignées rotatives et les levier de commande. La marque a cependant commis une erreur stratégique en voulant privilégier la force de guerre plutôt que les consommateurs. Ca s’est au final traduit par le dépôt de bilan en 1953 ».
Quel rapport avec Polaris Industries ? « Voulant bien se placer dans la moto, le géant du véhicule de loisir a repris les droits en 2011. Sa tentative entre 1998 et fin 2016 avec Victory Motorcycles, une marque qui n’avait pas d’histoire, n’a pas été un succès, avec des pertes financières sur 16 ans. C’est tout l’inverse avec Indian ».
Le groupe dont le siège social est situé à Medina, au Minnesota, a appliqué une recette très différente : « La rentabilité a été obtenue dans les 3 mois grâce à la notoriété du nom. A la relance en 2013, Polaris a respecté l’histoire et la tradition d’Indian tout en se projetant vers le futur. Ce qui en fait aujourd’hui, non pas un concurrent, mais un challenger idéal face à Harley-Davidson ».
…dans la moto électrique
« Polaris Industries est entré au capital de Zero Motorcycles. Ce qui est intéressant pour un partage de technologies. C’est sûr que nous aurons un jour des Indian électriques. Adopter Zero Motorcycles chez Breizh Riders est cependant un choix que nous avons fait de notre côté. Ce n’est pas général aux concessions Indian », tient à préciser David Pillonetto.
Imaginer la marque mythique sortir des électriques demande à nouveau une certaine gymnastique cérébral : « Les marques de motos se distinguent par leur conception, le comportement des machines, le son et les vibrations du moteur. Le passage à l’électrique est un véritable challenge pour les ingénieurs. Ils vont devoir réinventer une personnalité propre à chacune, avec un look, un son obtenu de haut-parleurs, et une autonomie suffisante. Si tout cela est bien fait chez Indian, les clients de la marque éprouveront du plaisir à se balader avec une électrique ».
Le Staff Manager sait très bien que ce n’est cependant pas gagné d’avance : « Harley ne connaît pour l’instant qu’un succès très mitigé avec sa marque LiveWire dédiée à l’électrique. Indian, comme Polaris Industries, s’intéressent à ce qui se passe ailleurs ».
Complémentarité
Pour le boss de Breizh Riders, Indian et Zero Motorcycles ne se concurrencent pas : « Je n’ai pas vu à ce jour un seul client venir acheter une Indian et vouloir repartir avec une Zero. A la base, ce n’est pas la même clientèle. Chez Indian, par exemple, la plus petite moto est une 1 200 cm3. Du côté des scooters, en revanche, l’électrique concurrence déjà des modèles comme le Yamaha TMax ».
Il assure : « L’électrique est aujourd’hui déjà pertinent pour se rendre au bureau quotidiennement. D’un point de vue écologique, c’est une vrai nécessité : pas de bruit, pas de pollution olfactive. Si toute la mobilité à deux et quatre roues y passe, ça va être un sacré bond en avant pour la qualité de vie ».
David Pillonetto a cependant une petite idée de ce qu’il observera un jour avec les cartes qu’il a déjà en main : « Ce qui pourrait se développer à l’avenir, c’est de rouler pour les loisirs avec une Indian mais d’aller travailler la semaine en milieu urbain ou périurbain avec une Zero. En ville, grâce à l’absence d’embrayage et de vitesses à gérer, on peut porter davantage son attention sur ce qui se passe autour de soi. C’est un gain pour la sécurité ».
Reprogrammation
Depuis l’arrivée des Zero Motorcycles en avril dernier, David Pillonetto a déjà pu identifier les freins à l’achat d’une moto électrique : « Ce qui fait peur, c’est l’absence de bruit, de vibration et le manque de caractère. Les motos électriques ont pourtant un vrai caractère, mais il est différent. Il faut recalibrer le cerveau et l’oreille. C’est quasiment de l’ordre de la programmation neuro-linguistique. On oublie les habitudes et on ouvre les chakras pour se laisser ressentir les choses ».
Pour dire tout cela à ses clients, la boss de Breizh Riders a inventé une formule consacrée qui vise à écarter les objections : « Laissez-lui une chance, essayez-la, et on verra après. C’est ainsi que plein de motards partent découvrir les Zero à notre invitation, le temps qu’une intervention soit effectuée par exemple sur leur Indian. Ca leur évite d’attendre. Au retour, ils disent souvent : ‘Je ne m’attendais pas à ça, c’est génial. Il y a vraiment un plaisir à les conduire’ ».
Notre interlocuteur a en particulier remarqué : « Les premiers à retourner leur discours sur les motos électriques, ce sont souvent ceux qui sont le plus dans la culture des thermiques. Je trouve cool que nous soyons un peu acteur de ça. Nous avons contribué à foutre en l’air la planète, mais nous allons nous mettre à inverser la tendance ».
Quel avenir pour les motos thermiques et électriques ?
La moto électrique sera-t-elle cantonnée à la ville ? « Avec la Zero DSR/X, en tirant constamment dessus sur une voie rapide, on va être à 110-130 km d’autonomie, contre 300 en ville. Le poids est l’ennemi sur les motos. On dit que la densité énergétique des batteries double tous les 5 ans environ. Ce qui peut servir à gagner de l’autonomie, alléger les packs, ou les deux à la fois. Dans ces conditions, et avec une recharge rapide, les motos électriques pourront sortir des villes et de l’interurbain pour voyager loin ».
Le mécanicien de formation, qui a d’abord fait ses armes sur une Citroën Traction 11 normale, n’envisage pas pour autant la fin du thermique : « Tout le monde ne pourra pas se payer un véhicule électrique, avec des prix qui vont devenir de plus en plus élevés. Et puis l’électricité à pas cher, c’est terminé ».
Il estime : « Le thermique va perdurer avec les anciens véhicules qui seront toujours en circulation lors de l’interdiction des ventes des modèles essence et diesel neufs. Ce sera pour la collection et les loisirs, peut-être avec des carburants de synthèse ».
Cleanrider et moi-même remercions beaucoup David Pillonetto pour son excellent accueil et son témoignage très complet.
Bravo et merci pour ce reportage intéressant dans le fond et très pro’ dans la forme, qui en fait oublier même les extrêmes de la caricature d’un côté et de l’utopie de l’autre, tant votre article efficace et utile.
Franck, roule-toujours en thermique depuis quarante ans et qui, après avoir été jusqu’à vivre et élever ses quatre enfants en side-(auto)car – tous dans un Watsonian Oxford double-banquette en tandem, tracté par un Kawasaki Z1300 6 cylindres – va faire l’effort financier et s’offrir sous peu l’utilisation et la passion d’une moto électrique.
Dommage que l’état des bornes 22kW soit déplorable, sinon que du plaisir pour les ballades en DSR/X.
Intéressant, vu de l’intérieur, en fait. Vivement que cet état d’esprit se diffuse dans les grandes villes, qu’on puisse enlever nos boules Quies. Bon sinon, la fin de électricité pas chère, c’est un sujet un tout petit peu plus complexe.