Vous reprendrez bien un peu d’écran couleur, de système connecté, de traceur GPS ou de boite de vitesses automatique ? Comment ça non ? Mais vous n’avez pas vraiment le choix, vous savez. Pourquoi ? Mais, parce qu’il faut bien justifier le tarif voyons ? Les vélos électriques ne seraient-ils pas devenus des engins trop embourgeoisés ?
Soyons mauvaises langues, le vélo électrique date du début du 19e siècle. En exagérant moins, c’est au milieu des années 90 qu’il est véritablement apparu tel que nous le connaissons. Depuis, les évolutions sont là, mais elles sont maigres. Il faut avouer que la législation n’aide pas et les 250 W de puissance maximale, associés à une vitesse bridée à 25 km/h par la réglementation, génèrent des consignes limitant grandement les possibilités créatives.
Alors, les constructeurs ont cherché ailleurs. Car la vérité y est peut-être. Oh, ne vous méprenez pas : les grandes innovations comme le capteur de couple, la selle confort, les freins hydrauliques ou les fourches suspendues ne sont pas récentes. Alors, comment expliquer qu’aujourd’hui, des engins qui usent de technologies essorées et équipant des millions d’exemplaires coûtent aussi cher ? Car il y a bien un monde entre les habitués de l’univers du cycle qui sont (plus ou moins) vaccinés à ces excès tarifaires et le commun des mortels qui s’étonnent et entendent leur voix monter dans les aiguës à l’annonce de certains tarifs.
En 2022, le prix moyen que les Français pouvaient mettre dans un VAE était de 1965 euros selon les chiffres de l’Union Sport & Cycle. C’est plus que les 1850 euros d’un mois du salaire médian en 2023 en France. Mais ce chiffre est biaisé, car le prix moyen d’un VTT à assistance électrique était de 2463 euros quand celui d’un vélo électrique pour le quotidien était plutôt de 1397 euros.
Mais si le VTTAE doit supporter des contraintes énormes et supporter la performance de ses utilisateurs, ce n’est pas le cas du VAE urbain. Sa performance signifie arrêter 30 kilos lancés à 25 km/h dans les rues de la routine quotidienne.
En 2020, la demande substantielle et l’offre dérisoire ont redressé intensément la courbe des ventes de produits. Les constructeurs ont donc joué sur ce concept vieux comme le monde de l’offre et de la demande. Résultat, un même VTTAE vendu 2500 euros en 2020 a vu son prix passer à 3 800 euros. Et les prix des vélos ont bondi d’un coup. Rendre le vélo accessible à tous, c’est marger fort sur chacun.
Alors les constructeurs vont chercher de quoi justifier la facture gonflée. Si certains misent sur une conception plus écologique et qualitative, comme Moustache et le cadre de sa gamme J, d’autres ajoutent des solutions bancales à des problèmes qui n’en étaient pas : le traceur GPS sert à retrouver un vélo, qui s’accompagne parfois de son abonnement, un système connecté qui rend le vélo inutilisable si le constructeur fait faillite (coucou Vanmoof) ou encore, et c’est ma préférée, le shrinkflation que l’on appelle la réduction d’équipement (la nouvelle version d’un modèle se voit nettement moins bien équipée que la précédente), comme le Flash S2 de Sunn qui a vu une baisse drastique de ses composants (freins, transmission, fourche) d’une année sur l’autre pour un prix qui lui n’avait pas bougé.
La boite de vitesse automatique trône en tête des aberrations onéreuses et inutiles : n’importe qui sait utiliser des manettes ou un shifter, voire une poignée rotative. Comment ajouter un poids inutile et une pièce complexe à un système qui a fait ses preuves ? Puis ce n’est pas comme si le monovitesse n’existait pas…
On aimerait évoquer l’inflation pour faire passer la pilule. Mais comment justifier que le prix d’un vélo augmente d’un certain pourcentage quand aucun de ses composants ou des frais de distribution n’a vu le tarif grimper d’un tel pourcentage ?
Et ne parlez pas de la batterie, quand des constructeurs osent proposer des capacités d’un demi-kilowattheure à 500 voire 600 euros, quand le coût du kilowatteure tourne autour des 140 euros (132 euros sur une automobile) et tend à diminuer depuis 5 ans.
Les tarifs explosent et l’achat d’un vélo ne devient plus une pulsion motivant à rouler différemment, mais une étude complexe à caler dans des finances réduites à peau de chagrin pour la classe moyenne, très concernée par le vélotaf. Ajoutez à cela le fléau du vol de nos chers vélos et vous obtenez une dépense difficile à réaliser.
Demandez autour de vous, à des gens lambdas combien coûte selon eux un vélo électrique. Autre exercice, annoncez les tarifs actuels de vélos très équipés et regardez les réactions. Elles s’accompagnent d’un « mais c’est le prix d’un scooter électrique » ou encore « j’ai payé ma voiture moins cher ». Le tarif des vélos a un plafond psychologique au-delà duquel il entre en conflit avec d’autres engins qui répondent à des normes plus complexes, à des conceptions (souvent) plus onéreuses. Vous pourrez vendre des vélos chers à des habitués du vélo, celles et ceux qui enchainent les milliers de kilomètres mensuels, ceux qui en ont fait leur véhicule principal et pour lequel ils sont enclins à débourser. Pour les autres, c’est peine perdue et cela profite aux gros acteurs capables de grosses productions et d’énormes économies d’échelle.
En 2021, la société Coleen avait lancé un pavé dans la mare : les gens, qu’importe leur statut, n’étaient pas d’accord pour mettre les 4690 euros dépensés. Pourtant, cette Rolls-Royce du vélo était entièrement faite à la main de manière artisanale et en France. Seules les jantes étaient forgées en Thaïlande et les freins usinés et fabriqués en Angleterre. Le constructeur a fait faillite une poignée d’années plus tard. Ironie de l’histoire, Bosch affirmait au même moment à ses clients fabricants que les prix des vélos électriques atteindraient 5000 euros.
C’est que le « Made in France » séduit plus dans les discussions que dans les actions d’achats. Les gens aimeraient, leurs finances s’en fichent.
Donc le vélo est boudé. Par n’importe lequel : le vélo onéreux, cher, qui tente par tous les moyens de vous convaincre qu’il est nécessaire de lâcher 3 000 voire 4 000 euros pour rouler quotidiennement, l’assistance activée, à 25 km/h.
Accell Group doit délocaliser, Trek ferme sa filiale italienne, Shimano utilise le capital accumulé pendant le Covid, mais surtout, les constructeurs tentent de liquider leurs stocks à coups de promotions hors soldes, ce qui signifie qu’ils continuent de marger malgré les remises. Une action qui s’imprime dans l’esprit du consommateur pour qui la valeur du vélo devient celle du prix le plus bas.
Le vélo suit le chemin de l’automobile, mais cette dernière peut se cacher derrière des normes impliquant des coûts de R&D difficiles à amortir et qui engendrent des factures plus élevées. Le vélo, de son côté, n’a aucune raison de jouer à la grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf. Quant au vélo électrique, s’il continue de séduire (738 000 unités en 2022, soit +12 %), le marché du vélo, lui, revient à son rythme de croisière avant le COVID. On s’attend donc aux prix appliqués à cette période. Faute de quoi, les utilisateurs vont faire preuve d’un excès de pragmatisme et se contenter du minimum, de vélos chinois jetables ou, dans le meilleur des cas, se tourner vers le marché de l’occasion ou du vélo électrique reconditionné, seuls vrais gagnants de cet excès tarifaire.
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